
Absorbée par ma tâche, je fus ramenée à la réalité par Matthieu me demandant ce que je fredonnais.
"Oh. Heu, Bad day. De Daniel Powter !
-Comme Harry?
-Vivent tes références culturelles ! Non, Daniel, il a un "w".
-Ooooh.. Ca me dit rien, tu veux pas chanter plus fort?
-Oulà, non. Mais je veux bien la mettre si tu veux.
-La mettre?
-Ben oui, sur mon portable...
-Oh d'accord. J'étais paumé là.
-Je sais, t'es un génie incompris des fois.
-Bon, alors, tu la mets ta chanson?
-Oui oui... Autant te prévenir que c'est pas la chanson la plus joyeuse du monde, hein.
-On s'en fout, c'est en anglais, non?
-Oui.
-Je comprends rien à l'anglais !"
Je lançai donc ma musique, et machinalement, me mis à fredonner en rythme, en coupant les oignons. Une fois que ce fut fini, je les jetai dans la poêle, entièrement absorbée par la musique, qui passait en boucle sur mon téléphone. Au bout d'un certain temps, Matthieu me coupa à nouveau pour me demander :
"Il raconte quoi? Le refrain par exemple?
-Tu as eu une mauvaise journée, et tu as pris un coup bas, tu chantes une musique triste qui te fait tourner en rond, tu sais que tu sais pas, tu me dis de pas mentir, tu te forces à essayer de sourire et tu t'en vas pour un moment, tu as eu une sale journée, l'appareil photo ne ment pas, tu te casses la gueule, et tu t'en fous, tu as eu une sale journée.
-Ah oui, pas vraiment joyeux, effectivement.
-Non. Mais paradoxalement, quand je l'écoute, c'est que ça va.
-Tu m'expliques ta logique?
-Je sais pas trop comment dire ça. Tu.. Ca t'es déjà arrivé d'associer une musique à un moment, à un lieu, une personne...
-Bien sur. Tu l'as associée à un moment joyeux?
-Non. Je ne l'ai associée à aucun moment triste. Disons que je l'écoute quand ça va parce que je la trouve simplement sublime. Et je sais que si je l'écoute un jour où je ne suis pas en forme, elle aura forcément cette consonance triste, tu vois? Alors quand ça va pas, je l'écarte de mon répertoire musical."
Matthieu éclata de rire devant ma logique, qu'il me dit trouver pour le moins étrange. Riant aussi, je jetai les lardons avec les oignons, et m'essuyai les yeux, larmoyants à cause de l'eau chargée de l'odeur d'oignon qui arrivait dedans en s'évaporant de la poêle. La préparation des pâtes se finit dans un silence presque religieux, et une écoute de Bad Day, qui passait toujours en boucle sur mon portable. Nous nous assîmes devant la télé, et zappâmes un moment avant de tomber sur un programme qui nous convenait à tous les deux. Matthieu me signala qu'il y avait là des pâtes pour un régiment, ce à quoi je répondis que c'était exactement ce qu'il nous fallait, et nous engloutîmes notre repas.
*Changement de narrateur, Matthieu en narration*
J'observai Eléna, tandis qu'elle mangeait avec un bel appétit. Elle était magnifique, sa robe d'un bleu pâle faisant ressortir ses yeux. Ses cheveux, négligemment jetés sur son épaule en une queue de cheval lâche bouclaient en séchant, et humidifiaient sa robe, qui lui collait à la peau, laissant peu de place à l'imagination quand aux formes qu'Eléna avait l'habitude de cacher. Ses longues mèches devenaient de plus en plus claires au fil des jours, décolorées par le soleil, mais surtout par le sel. Sa peau, en revanche, faisait le chemin inverse, devenant plus sombre et hâlée à chaque jour qui passait. Son sourire apaisé s'accordait avec sa posture, et n'importe quel homme l'aurait désiré en la voyant.
J'en étais conscient. Et pourtant, quand je la voyais, je passais outre cette beauté ravageuse, pour voir en elle celle qui au fil des jours était devenue mon amie. D'autant plus que je cherchais en elle les reflets plus sombres d'une autre fille, qui me plaisait depuis des années, mais qui ne le savait toujours pas. Leurs caractères étaient semblables, elles étaient identiques en beauté, mais Eléna n'avait pas ce quelque chose qui fait que. Sans doute parce que j'avais déjà trouvé la personne avec qui je voulais être.
Je m'abîmais dans mes pensées, et en fut tiré par la main d'Eléna posée sur mon bras. Elle me sourit, sans rien dire, se contentant d'être présente pour faire fuir mes idées noires, ayant vu sur mon visage le reflet de mes réflexions. J'essayai de me représenter un quotidien avec elle, sachant ce que ce serait incorrect, car elle ne serait que roue de secours. Mais je me devais d'essayer, je voulais essayer de tourner la page, d'aller de l'avant et de rencontrer une autre fille. Je lui souris, et lui demandai "Excuse moi, tu me laisserais essayer quelque chose?" Elle me regarda surprise, avant de répondre "Oui, bien sur.". Je me levai, lui pris le menton, et l'embrassai. Je vis ses yeux s'écarquiller de surprise, mais elle ne tenta pas de me repousser. Je m'écartai rapidement, et baissai le regard, gêné.
Elle passa quelques secondes sans bouger, et finit par me soulever le menton, tout en restant à une distance raisonnable. Elle me força à la regarder dans les yeux, où je ne lus ni pitié, ni dégoût, mais de la compassion ainsi qu'une lueur de compréhension. "Matthieu..." soupira-t-elle.
"Je... Je suis désolé, Eléna. Je... Je suis con, je suis vraiment désolé.
-Matthieu... Comme si ça pouvait marcher..."